Le chanteur, multi-instrumentiste et luthier kenyan Papillon prend son envol avec “Maisha Ya Babu”, un appel à renouer avec nos racines. PAM vous dévoile son clip en exclusivité !
Au Kenya, Martin Murimi alias Papillon s’inquiète de la dissolution progressive des traditions. Des siennes mais pas seulement, et si la question préoccupe également bon nombre de ses contemporain.e.s sur le continent, lui choisit d’y répondre par les racines dans “Maisha Ya Babu” (la vie de nos pères).
Engins de chantier, bennes à ordures, trafic dense, pollution : le clip a été tourné en banlieue de Nairobi, dans un décor peu rieur, pour souligner “le fort contraste entre notre histoire tribale et notre présent, urbanisé et occidentalisé” selon le réalisateur et styliste germano-nigérian Sydney “Spaceship” Nwakanma. Paré de tenues, coiffes et masques majestueux issus des collections de l’African Heritage House à Nairobi — sorte de Villa Médicis kenyane où les deux artistes se sont liés d’amitié au cours d’une résidence — Papillon détonne au cœur de ce chaos urbain.
“Pendant le tournage, les gens s’arrêtaient pour le regarder, très surpris de voir ce sorcier panafricain vêtu de tenues des quatre coins du continent, cette figure si déconnectée de leur réalité” raconte-t-il. Accompagné de sa Mwari wa Ur, une harpe-lyre sculptée maison, Papillon chante en mbeere sa douleur, la mémoire du temps de ses ancêtres, une unité perdue, sa nostalgie aussi, à la faveur de chœurs lumineux et d’arrangements minimalistes. D’une voix angélique — dont le falsetto s’apparente à celui de Blick Bassy ou Bongeziwe Mabandla — il s’interroge : que s’est-il passé ? “La mondialisation !” répond le vidéaste. “Uniformisées, traditions et cultures sont aux prises avec des forces capitalistes, et tandis que nous fabriquons toujours plus de vêtements bon marché, de musique au rabais, nous oublions notre héritage, la valeur du labeur, du fait-main.” Papillon renchérit : “Aujourd’hui, les traditions sont devenues symboliques, rares sont ceux qui les pratiquent. C’est triste mais il y a de l’espoir” tempère-t-il, “car le peu d’entre nous à être vraiment ancré peut rappeler aux autres qu’ils ont des racines. C’est la raison d’être de cette chanson.”
“Au temps de nos grands-pères, le mal n’existait pas” : malgré des paroles qui tendent à suggérer le contraire, le chanteur, multi-instrumentiste et luthier se défend pourtant d’idéaliser les valeurs et les traditions ancestrales. Originaire d’un petit village à trois heures de Nairobi, Papillon a grandi dans un milieu rural pauvre, au plus près de la musique mais aussi des rituels et cérémonies Mbeere — peuple bantou d’Afrique de l’Est, dont il a vu la vivacité décliner peu à peu ces vingt dernières années. S’il vit désormais à Nairobi, le trentenaire nourrit toujours par la pratique son héritage et donc, sa vérité, de nombreux aller-retours au village. Il prévient cependant : “je représente ma tradition certes, mais je ne suis pas un musicien traditionnel, je suis très contemporain.”
Un homme de son temps prêt à prendre son envol avec ce “Maisha Ya Babu”, digne avant-goût d’un premier album à venir dans l’année. Dans les pas de son mentor feu Ayub Ogada, virtuose moderne de la harpe-lyre nyatiti prompt aux expérimentations, Papillon s’est entouré d’un groupe à l’instrumentarium libre mêlant tablas, flûte, piano, steel drums et autres percussions pour l’accompagner dans la création d’une “nouvelle dynastie musicale avec l’Afrique traditionnelle aux racines”. C’est une promesse !